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Paul Painlevé, 18 septembre 1917

20 Octobre 2014 Publié dans #Déclarations ministérielles

11ème législature (1er juin 1914 - 19 octobre 1919)

 


Déclaration ministérielle de Paul Painlevé qui présente son gouvernement à la Chambre des députés, le 18 septembre 1917.

 

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9030618w/f1.highres

Messieurs,

 

L’heure n’est ni aux longs discours, ni aux longs programmes. Rassembler toutes les forces matérielles et morales de la nation pour la phase suprême de la lutte, c’est le devoir auquel le Gouvernement doit et veut se consacrer tout entier.

La guerre, à mesure qu’elle se prolonge, exige de tous une abnégation plus complète et un plus grand esprit de sacrifice ; plus nous nous rapprochons du terme, plus la résistance morale de la nation deviendra l’élément essentiel de la victoire.

C’est contre cette résistance morale que nos ennemis, n’ayant pu nous vaincre sur les champs de bataille, annoncent qu’ils veulent redoubler d’efforts. Au Gouvernement de redoubler de vigilance contre ces entreprises insidieuses, et d’énergie contre ceux qui s’y prêteraient.

Dans les instructions ouvertes, comme dans celles qui pourraient s’ouvrir, la justice suivra son cours sans hésitation, sans faiblesse, sans qu’il soit tenu compte d’aucune considération de personnes. Quiconque se fait complice de l’ennemi doit subir la rigueur des lois.

Le Gouvernement compte sur le patriotisme de tous, et sur la discipline nécessaire de l’opinion, pour que la justice accomplisse son œuvre dans le calme et la dignité, et qu’elle soit soustraite aux généralisations imprudentes, aux rumeurs tendancieuses, aux polémiques violentes des partis.

Qu’elle qu’en soit l’issue, ces tristes affaires ne sauraient atteindre aucun parti.

Mais il n’est point de manœuvres de l’ennemi, il n’est point de défaillances individuelles qui puissent détourner la France de son inébranlable résolution. Cette résolution, elle s’inspire des plus pures traditions de notre race, de ces principes généreux de liberté que la Révolution a semés à travers les peuples et qui rassemblent aujourd’hui, contre l’impérialisme allemand, l’univers civilisé.

Si la France poursuit cette guerre, ce n’est ni pour conquérir ni pour se venger, c’est pour défendre sa liberté et l’indépendance du monde. Ses revendications sont celles du droit même ; elles sont indépendantes du sort des batailles. La France les proclamait solennellement en 1871, alors qu’elle était vaincue ; elle les proclame aujourd’hui qu’elle a fait sentir à ses agresseurs le poids de ses armes.

Désannexion de l’Alsace-Lorraine, réparation des préjudices et des ruines causées par l’ennemi, conclusion d’une paix qui ne soit pas une paix de contrainte et de violence, renfermant en elle-même le germe de guerres prochaines, mais une paix juste où aucun peuple, puissant ou faible, ne soit opprimé, une paix où des garanties efficaces protègent la société des nations contre toute agression d’une d’entre elles ; tels sont les nobles buts de guerre de la France, si on peut parler de buts de guerre quand il s’agit d’une nation qui, pendant quarante-quatre ans, malgré ses blessures ouvertes, a tout fait pour éviter à l’humanité les horreurs de la guerre.

Tant que ces buts ne seront pas atteints, la France continuera de combattre. Certes, prolonger la guerre un jour de trop, ce serait commettre le plus grand crime de l’histoire ; mais l’interrompre un jour trop tôt serait livrer la France au plus dégradant des servages, à une misère matérielle et morale dont rien ne la délivrerait plus.

Voila ce que sait chaque soldat dans nos tranchées ; chaque ouvrier dans son atelier ou sur son sillon. C’est là ce qui fait l’union indissoluble du pays à travers toutes les épreuves ; c’est le secret de cette discipline dans la liberté qui s’oppose victorieusement à la féroce brutalité du militarisme allemand. Cette discipline, faite de raison et de confiance mutuelle, les Gouvernements antérieurs l’ont maintenue durant trois années. Le Gouvernement actuel n’en conçoit pas d’autre.

Mais ce ne sont pas seulement les volontés, ce sont toutes les forces matérielles du pays qu’il faut tendre vers ce but unique : la guerre. La défense nationale est un bloc qui ne se laisse pas fragmenter : effectifs, armements, munitions, ravitaillement, transports, autant de problèmes auxquels on ne saurait appporter de solution isolée, car ils dépendent étroitement les uns des autres. On n’en peut venir à bout que par un vaste effort de coordination et de synthèse qui, comparant les besoins et les possibilités, sache accroître les productions, imposer les restrictions indispensables, arrêter la spéculation et la hausse des prix en mettant à la disposition de la Nation elle-même toutes les ressources qu’elle renferme.

Difficile programme que le Gouvernement s’efforcera de remplir, en faisant plier les intérêts particuliers devant l’intérêt général. Mais il n’ignore pas que l’effort le plus efficace, c’est la Nation elle-même, dans son patriotisme conscient, qui peut le donner. Lorsqu’il s’agit du salut du pays, qui donc hésiterait à s’imposer des sacrifices, mêmes pénibles, mais si légers auprès des souffrances de nos soldats ?

Cette coordonation nécessaire des forces du pays, elle ne s’impose pas moins impérieusement entre les alliés. Combattants d’hier ou d’aujourd’hui, rassemblés par la même cause sacrée, il faut qu’ils agissent comme s’ils constituaient une seule nation, une seule armée, un seul front. Puisque la défaite de l’un serait la défaite de tous, puisque la victoire sera la victoire de tous, ils doivent mettre en commun leurs hommes, leurs armes, leur argent.

A ce prix seulement, la supériorité de leurs ressources, trop diffuse encore, deviendra écrasante. Une telle politique permettra à la France de faire face à la fois, sans s’épuiser, à ses besoins économiques et à la garde de ses frontières.

Depuis le mois d’août 1914, l’armée française a été l’invicible bouclier de la civilisation, son sang a coulé à flots, il importe pour l’heureuse issue de la guerre qu’elle garde jusqu’au bout la plénitude de sa vigueur.

Les problèmes de la guerre, si absorbants qu’ils soient, ne doivent pas nous dissimuler ceux de l’après-guerre qui, autrement, risqueraient de nous surprendre. La période qui suivra la fin des hostilités doit être préparée longtemps à l’avance aussi minutieusement que la mobilisation elle-même.

Reconstituer les régions reconquises, établir un programme de grands travaux qui multiplie nos forces industrielles et régularise le retour à la vie normale en évitant aux démobilisés les crises de chômage ; développer puissamment la production et le crédit de la France ; associer la nation à l’exploitation des industries nouvelles ; prévoir la transformation, en vue de la paix, des usines de guerre ; asseoir notre système fiscal sur des impôts justes, hardis, bien coordonnés ; appliquer loyalement les réformes récentes introduites dans les relations entre ouvriers et patrons, pour les adapter à la réalité et les faire entrer dans les mœurs, telles sont quelques-unes des idées directrices qui doivent guider le développement de notre ardente démocratie.

Lorsque, après les rudes années de souffrances, nos soldats rentreront dans leurs foyers, à ces vainqueurs qui auront fait triompher le droit entre les nations, personne ne marchandera ni la reconnaissance ni la justice.

Avant de clore cette déclaration, jetons les yeux sur l’immense ligne de bataille. Si le front russe nous a causé de pénibles désillusions, nous devons espérer que la république nouvelle puisera dans l’excès même du péril la force de refaire l’union et la discipline.

Sur tous les autres champs de bataille : sur le Carso, sur le Sereth, sur la Cerna, comme en Artois, depuis des mois, de grandes choses se sont accomplies dont les résultats plus profonds qu’apparents se manifesteront par leurs conséquences.

Dans nos plaines de l’Est, les premiers contingents américains s’entraînent fraternellement avec nos troupes d’élite.

Quant à notre armée, sous l’impulsion d’un chef dont la maîtrise impeccable s’affirme chaque jour, elle a ajouté un nouveau lustre au nom symbolique de Verdun. Jamais son moral n’a été plus élevé, jamais elle ne s’est sentie plus sûre d’elle-même.

Pour que soit préservé de toute atteinte son merveilleux héroïsme, il faut qu’elle sente, penchée sur elle, la vigilance des pouvoirs publics : sans empiéter sur les attributions du haut commandement, contrôle parlementaire et contrôle gouvernemental sauront remplir leur tâche. Dans ce domaine, comme dans tous les autres, le gouvernement compte sur la collaboration étroite du Parlement, dont les inititatives et l’effort continu ont rendu à la défense nationale de si efficaces services que l’avenir mettra en pleine lumière.

Revendiquant toute l’autorité de notre fonction, nous ne chercherons pas à dissimuler derrière une façade d’optimisme nos responsabilités, nous les livrerons toutes à votre jugement.

Si vous nous croyez dignes d’une si lourde tâche, nous justifierons votre confiance par notre énergie et notre sincérité.

 

L’ordre du jour de confiance, présenté par les députés Paul Laffond, Louis Serre et Girard-Madoux (« La Chambre, approuvant les déclarations du gouvernement et confiante en luibpour poursuivre avec énergie la réalisation de son programme de guerre, passe à l’ordre du jour »), est adopté le 19 septembre par 368 voix contre 0.

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