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René Viviani, 16 juin 1914

22 Mai 2014 Publié dans #Déclarations ministérielles

11ème législature (1er juin 1914 - 19 octobre 1919)

 

Déclaration ministérielle de René Viviani qui présente son gouvernement à la Chambre des députés, le 16 juin 1914.

 

http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b6928195q/f1.highres

Messieurs,

 

Le gouvernement rencontre, dès son avènement, les difficultés que le temps lui a léguées et qu’il dépend de notre action commune de ne pas laisser s’accroître. Ces difficultés ne seraient insurmontables que si le gouvernement manquait de résolution et de courage et s’il ne pouvait compter sur une majorité républicaine, capable de fermeté dans les desseins et de continuité dans les vues.

Cette majorité est celle-là même qui a soutenu le cabinet qui était aux affaires avant les élections. Elle a reçu, pour son attitude passée, l’éclatante adhésion du suffrage universel dont nous devons exécuter les volontés et qui l’a renvoyée accrue et plus ardente encore sur les bancs de la Chambre. Ce faisant, le suffrage universel a marqué son attachement à la République laïque et sociale ; il a réclamé le triomphe de la justice fiscale, l’aménagement des réformes, l’examen et la solution des problèmes qui se posent avec une acuité redoutable devant la conscience publique. Pour l’accomplissement de cette œuvre, le gouvernement est prêt à l’action. Il demande à la majorité républicaine de le seconder, de lui fournir cette collaboration chaleureuse sans laquelle la confiance n’est pas un réconfort. Et il est bien entendu qu’il ne veut tirer son autorité que d’une majorité exclusivement républicaine, vivant d’elle-même, se refusant à accepter le concours direct ou détourné des partis de la réaction.

  Messieurs, les difficultés financières sont celles vers lesquelles, à cause même de leur urgence, nous devons nous porter d’un premier et vigoureux élan. La situation de la Trésorerie commande un prompt appel au crédit public. Le gouvernement considère que l’emprunt est l’œuvre immédiate à laquelle il se doit attacher, avant même de faire aboutir devant le Sénat le vote du budget de 1914. Mais l’emprunt ne résout que très partiellement le problème. Cet emprunt ne pourvoit en effet qu’aux dépenses extraordinaires. Or, il est essentiel de rétablir entre les charges et les ressources permanentes du pays un équilibre hors duquel pourraient être mis en péril à la fois le progrès social et la défense nationale.

Pour sauvegarder de si hauts intérêts, le gouvernement doit remplir un grand devoir et demander à la nation de s’y associer. Il ne suffit pas, en effet, d’apporter à la gestion des affaires de l’Etat cet esprit d’économie et cette volonté de contrôle qui sont les seuls remèdes efficaces contre les engagements abusifs de dépenses et le mauvais emploi des crédits. Il faut, de plus, au prix d’un grand effort, tout ensemble doter les budgets des ressources qui leur sont indispensables et, en réformant l’assiette de l’impôt, assurer enfin la justice fiscale. Cette œuvre nous la réaliserons avec l’appui d’une majorité républicaine qui restera fidèle aux conceptions de sa devancière. Dans les derniers jours de la précédente législature, la Chambre des députés a voté des dispositions tendant à établir un impôt progressif sur l’ensemble des revenus. Nous demanderons au Sénat d’en maintenir l’incorporation dans la loi de finances de 1914. Soucieux d’exiger de ceux qui possèdent leur légitime contribution aux charges publiques, nous insérerons dans le projet de budget de 1915 des textes instituant l’impôt progressif sur le capital. Enfin, nous nous attacherons à poursuivre la rénovation, déjà réalisée en partie, de notre système d’impositions directes et à faire définitivement prévaloir la grande réforme dont la Chambre de 1909 a assuré le succès.

Un des devoirs les plus hauts du gouvernement sera de persister dans la politique extérieure suivie, depuis tant d’années, par la république. Nous développerons une alliance féconde en heureux résultats, fortifiée à l’épreuve du temps, au milieu des sympathies qui unissent deux peuples, tous deux attachés à la paix ; la parfaite entente qui nous lie à une puissante nation voisine et qu’une récente visite a de nouveau et avec éclat consacrée ; nos bonnes relations avec les autres gouvernements. Mais ce n’est pas seulement de cette alliance, de cette entente, de ces bonnes relations que la France tire sa force. Elle la tire d’elle-même.

Le Parlement a voté la loi du 7 août 1913 sur la prolongation du service militaire. La discussion en a été ardente et longue, mais la loi est votée. Cette loi ne suffit pas, à elle seule, à assurer la défense du territoire. Le gouvernement déposera, à bref délai, un ensemble de projets de lois sur la préparation militaire de la jeunesse et sur la réorganisation des réserves – projets destinés à accroître la puissance défensive d’une nation qui, respectueuse du droit universel, n’a jamais songé, ne songe qu’à préserver ses foyers, ses libertés, sa dignité. C’est seulement après que ces projets auront été votés, appliqués, quand leur application aura démontré leur efficacité que, tenant compte à la fois des résultats de l’expérience et des nécessités de la défense nationale, le gouvernement pourra proposer un allégement partiel des charges militaires. Jusque-là le gouvernement s’en tiendra, sous le contrôle du Parlement, à l’application exacte et loyale de la loi.

Le Sénat a renvoyé à l’examen de la Chambre le projet de loi sur la réforme électorale. Cette réforme est indispensable. Dès que la commission de la Chambre le désirera, le gouvernement se mettra à sa disposition pour rechercher avec elle, d’accord avec le parti républicain dans les deux Assemblées, un mode de scrutin nouveau.

Ce n’est pas à l’heure actuelle, où le parti clérical, levé en face de la République, encourage contre elle toutes les réactions, que la majorité républicaine désarmera. Notre premier effort sera d’achever, avec le concours du Sénat, dont les sentiments républicains sont une garantie de succès, dès que les discussions d’ordre financier auront pris fin, le débat sur les lois de défense laïque et sur la réorganisation de la caisse des écoles. Nous demanderons à la commission de l’enseignement de la Chambre de hâter le dépôt du rapport sur le contrôle de l’enseignement secondaire privé et nous développerons l’organisation postscolaire. Par la liberté, la propagande, l’action, le parti républicain défendra le patrimoine de la Révolution contre l’esprit de domination. Nous voulons une République aussi éloignée de la persécution contre ses adversaires que la faiblesse dont ils voudraient profiter.

Mais l’action politique est insuffisante et elle est vaine si elle n’est pas secondée par l’action sociale qui, exercée au profit des travailleurs des champs et des villes, contribue à les rallier à la République. Vis-à-vis d’eux, par l’effort de lois d’assistance et d’assurance, la République a fait son devoir. Elle est loin d’avoir achevé sa tâche. Il faut améliorer la loi sur les retraites ouvrières, y comprendre l’invalidité, étendre jusqu’au chômage involontaire le domaine de l’assurance, doter de pouvoirs légaux plus efficaces ces syndicats professionnels où les ouvriers prennent, au contact des épreuves, l’habitude des responsabilités et travaillent à leur affranchissement économique.

Messieurs, bien des réformes appellent votre attention et la nôtre et nous vous prions de ne pas dénoncer les lacunes, d’ailleurs volontaires, d’une déclaration qui envisage les problèmes urgents et généraux et ne vise pas à se transformer en une table de matières inanimée. Certes, aucune des grandes questions économiques et agricoles ne nous peut trouver indifférents. Dès demain, pour l’examen de chacune d’elles, le gouvernement sera prêt. A l’heure grave qui sonne, il voudrait, embrassant d’un rapide regard la situation présente, se retourner vers la majorité républicaine. Il ne redoute la discussion d’aucune idée : pourvu que cette idée ne demande son triomphe qu’à la loi. Il fait appel à tous ceux qui savent que la République mentirait à son origine si elle n’était laïque, démocratique et sociale. Il voudrait qu’une large discipline, volontairement consentie, rassemblât tous les hommes qui ont mis dans cette République leur espoir, et si cette majorité républicaine le veut, nous nous offrons pour guider avec elle, par les voies de l’ordre et de la légalité, vers un idéal de justice, une démocratie qui, appliquée à développer à l’intérieur tous les progrès, a su maintenir au premier rang des peuples la France de la Révolution.

 

La demande de priorité à l’ordre du jour présenté par les députés Breton, Theignier et Verlot («  La Chambre, confiante dans le gouvernement pour pratiquer une politique de réformes fondée sur l’union des républicains et appuyée sur une majorité exclusivement républicaine, et repoussant toute addition, passe à l’ordre du jour »), sur laquelle il engage sa confiance, est adoptée par 362 voix contre 139; l’ordre du jour en lui-même reçoit une approbation de 359 voix contre 136.

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