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Délicieusement corrosif

8 Mai 2008 Publié dans #Lectures

Je viens de lire d’une traite l’excellente Chronique du règne de Nicolas Ier, écrit par Patrick Rambaud, Goncourt 1997 qui nous croque de façon satirique et croustillante de mots assassins les débuts du règne de Notre Maître Absolu, Notre Leader Maximum, Notre Sublime Majesté, Notre Omniscient Souverain … (les épithètes sont diverses et variées et toutes en liaison avec une facette du personnage), celui qui fait voter des lois qui existent déjà et parle pour ne rien résoudre, de sa Cour, ses conseillers, le cardinal de Guéant et le chevalier de Guaino dont le rôle est «  de mettre en forme les bribes de paroles et le vouloir de Sa Majesté, leur donner une charpente puisque celle-ci n’était pas au fait de notre langue, n’ayant obtenu qu’un pâle 7 sur 20 en français au baccalauréat », l’insolent marquis de Benamou, de ses ministres tapisseries « magnifique collection de potiches », dirigé par le duc de Sablé (« il ne put trouver plus transparent ») et comprenant entre autre la baronne d’Ati qui ne sait rien faire à part faire bosser les autres à sa place et jouer les stars de magazine (« Elle a une vue aérienne des dossiers qu’elle ne consulte même pas »), Kouchner, comte d’Orsay (« Le palais d’Orsay lui fut offert, il en rêvait depuis longtemps, il y courut en souriant », « Partisan mais à voix basse de Johnny Walker Bush »), Borloo, duc de Valenciennes, «  à la chevelure en plumeau » qui, « n’aimant guère se lever tôt, avait un air goguenard et mal réveillé, même le soir », la marquise de La Garde que Sa Majesté aime à cause de « sa façon de truffer ses phrases d’expressions anglaises, ses exploits d’hier à la natation synchronisée », tandis que les députés du Parti Impérial sont ravalés au rang de « Petits pois ».

 

Et pour vous donner encore plus l’eau à la bouche, voici quelques autres passages grinçants :

 

« Ajoutons qu’en ce temps-là, il n’avait point encore le loisir d’obtenir une note prestigieuse par décret, et on saisira son aversion pour les humanités, l’histoire, la géographie, les mathématiques et la philosophie où il stagnait en dessous de la moyenne ».

« Notre Véloce Leader, si vous lui parliez de culture, ne pensait qu’à des champs de maïs ou de haricots ».

« Il changea illico de sujet, évoqua Monsieur de La Fayette que jusqu’à présent il confondait avec les Grands Magasins du même nom, mais il avait épluché les fiches si utiles du chevalier de Guaino dans l’avion, pensez donc ! (…) Tant de savoir laissait Johnny Walker ébahi, lui dont les connaissances historiques n’allaient guère plus loin que Davy Crockett et les frères James qu’il situaient à cause d’Hollywood ».

« « L’esprit religieux et la pratique religieuse peuvent contribuer à apaiser et à réguler une société de liberté », ce qui se vérifiait en effet chaque jour, depuis la Saint-Barthélemy jusqu’aux camions piégés de Bagdad ».

« On découvrit l’existence de quelques ministres qu’on avait crus décédés, endormis ou naturalisés (…) on vit le duc de Valenciennes déplorer la chute d’un autocar de pélerins polonais qui revenaient de Lourdes en chantant « Plus près de toi, mon Dieu », et, ô ironie de la divinité, se fracassa dans un ravin des Alpes »

 

Guaino : « Il tenait un catalogue complet de citations puisant au petit bonheur des mots sonores et colorés qu’il volait à des auteurs de tous bords, charcutait, en tournait le sens pour les mettre dans la bouche de Sa Savante Majesté ... Le chevalier de Guaino était un maître. Parfois, il se plaisait à jouer ; alors, dans un discours, il saupoudrait les périodes avec des imparfaits du subjonctif incongrus et drôles que Sa Majesté déclamait sans s’en apercevoir, convaincue que cela était beau quand cela était grotesque ».

 

Lagarde : «  Elle ne saisissait pas que le petit nombre de chanceux qui parviendraient à travailler plus priverait des milliers d’autre de travailler tout court. Cela s’était vérifié dans bien des royaumes voisins, où l’on travaillait moins mais presque tous, et qui n’en étaient que plus riches, comme la Norvège, la Suisse, le Danemark, la Hollande, la Suède », « Il eût fallu que la Marquise ne possédât point un gésier à la place du cœur et qu’elle eût un œil un peu moins myope ».

 

Excellent aussi le passage sur le Discours de Dakar puisé dans Tintin au Congo.

A lire la découverte de la génétique par Notre Savant Leader, sur la culture du résultat dans la police, sur Sangatte …

 

Comme vous l’aurez deviné, cet ouvrage est un pur moment jouissif.

 

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H
Jerem, j'ai enfin le temps de revenir ici, et réacoster tes rives avec ce délicieux billet me met en liesse.Je pars à Charmes, je continuerai la lecture de tes billets manqués dans l'ordre chronologique. Je m'en lèche les babines d'avance.Vive le temps libre.
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L
il n'y a pas de petit plaisir révolutionnaire :-)
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J
Ah, Nicolas et la culture ! On pensera ce que l'on veut de ses prédécesseurs et de leur action, eux étaient des hommes de savoir. Avec le Zébulon qui nous dirige, on peut dire que la République des Lettres a du souci à se faire, puisque ni Platon ni La princesse de Clèves, texte pourtant majeur de notre littérature, ne semblent trouver grâce à ses yeux.Formes de résistance possibles à ce crétinisme ambiant : aller au musée, lire beaucoup, écouter de la musique, si possible classique. Etre savoureusement improductif, décalé, hors système.
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