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Le mythe de "la fleur au fusil"

4 Août 2014 Publié dans #Quelques articles historiques

http://www.herodote.net/Images/Aout14.jpg

 

Il y a encore quelques jours, malgré les avancées déjà anciennes de la recherche historique depuis les travaux pionniers de l'historien Jean-Jacques Becker (thèse de 1976, reprise ensuite dans un ouvrage paru en 1977 sous le titre Comment les Français sont entrés dans la guerre), un reportage de France 2 continuait à colporter la légende des Français partis à la guerre "la fleur au fusil", images de 1914 et témoignage de Roland Dorgelès enregistré en 1965 à l'appui.

 

Dans la réalité, ce qui nous a été montré était loin de correspondre à l'opinion majoritaire des Français telle qu'elle a pu être reconstituée par les historiens et ce qui nous a été présenté comme un départ en guerre "la fleur au fusil" n'était qu'un mouvement de surface, plutôt urbain, concernant les élites intellectuelles et des civils d'autant plus exaltés qu'ils n'étaient plus mobilisables, surtout parisien, parfois suscité par la jeunesse nationaliste proche de l'Action française et de ses Camelots du roi, aux abords de la Gare de l'Est, des casernes et des grands boulevards où quelques magasins à l'enseigne "germanique" (en fait souvent suisse ou alsacienne), ont été saccagés.

Et encore, à bien observer en détail la foule des images en question, on y décèle des attitudes bien plus diverses qu'il n'y parait: certaines femmes et certains soldats ont le visage grave et sont loin d'éprouver cette ferveur patriotique , d'autres tiennent des mouchoirs à la main...

Dans d'autres villes et dans certains quartiers, notamment les quartiers ouvriers, l'ambiance fut beaucoup plus complexe et les réserves face à la guerre se sont bien plus manifestées qu'on ne le pensait jusqu'ici:

« A Paris, le pavé des grands boulevards est occupé par une manifestation nationaliste le 29 juillet, mais, le 27, les pacifistes ont été aussi nombreux. Quelque 20 000 manifestants se mobilisent contre la guerre à Lyon, 10 000 à Montluçon et 5 000 à Brest. Il faut aussi comptabiliser les manifestations qui sont dispersées par la police à Reims ou Nantes ou celles qui sont simplement interdites comme à Rouen, Nîmes ou Toulouse » (in La Grande Guerre, François Cochet), et, jusqu'au 4 août, des manifestations diverses (meetings, signes d'opposition divers), ont continué à s'exprimer.

De plus, la France est à l'époque majoritairement rurale. Le journaliste en fait d'ailleurs mention, mais curieusement, il ne retient rien de ce qu'il dit pour la suite de son reportage puisqu'il embouche ensuite la ritournelle de "la fleur au fusil", comme si de rien n'était.

 En août 1914, on y est en pleine période des moissons et on n'a guère le temps pour se passionner pour les dernières nouvelles du monde. C'est d'ailleurs le tocsin qui avertit les ruraux et, dans une France où le son des cloches a encore une signification importante, le tocsin est d'abord et avant tout l'annonciateur d'une catastrophe: c'est dire si on est loin d'être très enthousiastes à l'idée d'une guerre, même si on s'y résigne, à la fois par obéissance au devoir, mais aussi parce que domine le sentiment d'un patriotisme défensif face à ce qui semble être une agression allemande.

D'ailleurs, le laps de temps est si court et les gens sont tellement sidérés et hébétés qu'ils n'ont pas vraiment le temps d'avoir d'autres types de réactions.

Même au sein de la famille socialiste, la plus à même de s'opposer à la guerre, l'assassinat de Jaurès et le vote des crédits de guerre par le SPD allemand au Reichstag, ont tôt fait de doucher quelques vélléités de résistance.

 

Autres élements un peu oubliés aujourd'hui mais qui rendent compte d'une attitude bien plus ambivalente des Français face à la guerre, c'est la véritable panique qui s'empare des épargnants qui n'hésitent pas à effectuer des retraits bancaires massifs de leur compte, les motifs d'un certain nombre de procès à la réouverture des tribunaux en septembre (cris séditieux, propos appelant à la désertion, ...) et l'aptitude particulière de certains commmerçants ou simples Français à tirer parti de tout et donc à vendre certaines denrées à des prix soudain prohibitifs, y compris aux soldats... Pas très "patriotique" tout cela !

 

En réalité, la guerre, en 1914, sembla bien plus acceptée par résignation que par réel enthousiasme, loin du cliché du départ "la fleur au fusil" et surtout parce que, soldats comme généraux, tous étaient convaincus, pour des raisons parfois opposées, que la guerre serait courte.

Il est donc regrettable que certains journalistes, depuis 1976/77, n'aient toujours pas remis à jour leurs connaissances et continuent à diffuser des clichés qui n'ont plus lieu d'être sous prétexte que ce sont les seuls pour lesquels ils aient des "images à montrer".

 

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