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Les fusillés pour l'exemple

2 Mai 2021 Publié dans #Quelques articles historiques

1) Définition

Un soldat fusillé pour l'exemple est un soldat fusillé dans l'exercice de ses fonctions. Ce châtiment est une punition visant, selon le commandement militaire, à décourager les autres soldats d'adopter le comportement reproché.

2) Combien de personnes concernées ? Pour quels motifs ?

Selon les études les plus récentes, 2 400 soldats ont été condamnés à mort et 600 fusillés pour l'exemple, les autres voyant leur peine commuée en travaux forcés, tout en sachant que 10 à 15 % des archives militaires ont probablement disparu.
Le nombre de fusillés fut relativement élevé en 1914 et 1915, puisque sur les 600 fusillés, leur nombre est évalué à 460 pour les deux années de la guerre (près de 200 en 1914 pour 4 mois de guerre et environ 260 pour l'année 1915).

Les principaux motifs de condamnations sont : le refus d'obéissance, les mutilations volontaires, les désertions, le délit de lâcheté et les mutineries.


3) L’évolution des principaux motifs de condamnation dans le temps

En 1914, passent surtout en Conseils de guerre, des soldats accusés de mutilations volontaires; il faut dire que certains médecins-majors traquent littéralement celles-ci et envoient volontiers devant un peloton d'exécution ceux qui s'en rendent coupables à leurs yeux.

En 1915 et 1916, par contre, les motifs sont de plus en plus des désertions, des refus d'obéissance devant l'ennemi (ce prétexte sera souvent invoqué pour justifier des exécutions arbitraires, notamment lorsque les généraux n'étaient pas satisfaits du repli des troupes) et des abandons de poste.

C'est ce qui arriva aux caporaux de Souain : le 10 mars 1915, à cinq heures du matin, les poilus du 21ème régiment d'infanterie reçurent l'ordre d'attaquer à nouveau à la baïonnette et de reprendre les positions enlevées par l'ennemi, établies au nord du village de Souain (Marne), mais ils refusèrent de sortir des tranchées car l'espace à découvert était sous le feu direct des Allemands et parce que le terrain avait été labouré par des tirs mal réglés de l'artillerie française. Le général qui avait ordonné l'attaque exigea des sanctions. Le capitaine commandant la compagnie fut alors tenu de transmettre à ses supérieurs une liste de noms de 6 caporaux et de 18 hommes de troupes, choisis parmi les plus jeunes, à raison de deux par escouade. Ainsi, 24 homme passèrent en conseil de guerre le 16 mars; 20 furent acquittés, mais 4 caporaux sur 6 furent condamnés à mort et exécutés le lendemain. Ils ne furent réhabilités qu'en 1934, leurs veuves recevant le franc symbolique au titre des dommages et intérêts. En 2007, un monument a été érigé à Suippes en leur mémoire.

En 1917, les condamnations concernent des comportements collectifs, comme, par exemple, les mutineries qui eurent lieu suite à l'échec de l'offensive du Chemin des Dames. Elles ne cessèrent de se développer durant tout l'été 1917 et concernèrent les 2/3 des régiments. Elles se manifestèrent essentiellement par des refus collectifs de plusieurs régiments de monter en ligne: les soldats acceptaient de conserver les positions, mais refusaient obstinément de participer à de nouvelles attaques vouées à l'échec ou ne permettant de gagner que quelques centaines de mètres de terrain sur l'adversaire. Ces refus d'obéissance s'accompagnèrent de manifestations bruyantes, rarement violentes, au cours desquelles les soldats exprimaient leurs doléances et criaient de multiples slogans dont le plus répandu fut: " A bas la guerre ".

Environ 3 500 condamnations, en rapport avec ces mutineries furent prononcées par les conseils de guerre avec une échelle de peines plus ou moins lourdes. Il y eut, entre autres, 1 381 condamnations aux travaux forcés ou à de longues peines de prison et 554 condamnations à mort dont 49 effectives (chiffres de l'armée). Ce nombre a toujours été sujet à controverses du fait de l'impossibilité d'accéder librement aux archives concernées. Les estimations varient de 30 à 70 exécutions selon les historiens.

Enfin, en 1918; on assiste à une baisse significative des exécutions: en effet, les commandements militaires furent plus attentifs à l'état mental des soldats et aux conséquences du choc post-traumatique ("shell-shock" en anglais), ce choc psychologique provoqué par les conditions de vie des soldats, notamment sous les bombardements.


4) La justice militaire pendant la Première Guerre mondiale

Dès le début de la guerre, les militaires ont obtenu du gouvernement que les prévenus puissent être présentés devant les conseils de guerre sans instruction préalable, et, en septembre 1914, le ministre de la guerre, Messimy, abolit même les possibilités de recours en grâce et de révision.

Le 06 septembre, Joffre, qui commande les armées françaises, obtient même la constitution de "conseils de guerre spéciaux" qui devaient juger rapidement et durement, pour l'exemple: les prévenus étaient jugés par une "cour" composée en général, du commandant de régiment, assisté de deux officiers. Ils votaient et la majorité scellait le sort du soldat qui, s'il était condamné à mort, devait être exécuté dans les 24 heures, selon les préconisations de Joffre. Plus question des principes d'indépendance des juges, de débats contradictoires et enfin de recours. On comprend, dans ces conditions, comment il y a pu y avoir autant d'exécutions durant les deux premières années du conflit.

Très vite d'ailleurs, la presse et les associations s'émurent et révélèrent des abus provoqués par ces méthodes de jugement, mais c'est seulement à la fin de l'année 1915 que le Parlement français imposa la fin des Conseils de guerre spéciaux avant de replacer, par une loi de 1916, la justice militaire sous contrôle (loi Meunier du 28 avril 1916 qui rétablit les garanties des prévenus comme les circonstances atténuantes, le pourvoi en cassation ou la demande de grâce présidentielle).

Cependant, lors des mutineries de 1917, une répression rapide des présumés mutins se mit en place. L'objectif était, à nouveau, de faire des exemples: les tribunaux militaires jugèrent sans véritable preuve, les "agitateurs" présumés, désignés par les officiers. De plus, certains gradés n'hésitèrent pas à faire pression sur les membres des tribunaux pour qu'ils rendent un verdict de mort. Début juin l'état-major réussit même à obtenir que la possibilité d'appel soit supprimée. Pétain obtint aussi, pour juin et juillet 1917, la possibilité de bloquer les demandes de grâce auprès du président de la République, Raymond Poincaré. Il utilisa ce droit à 7 reprises.
Cependant, pour l'ensemble de la guerre, chaque fois que Poincaré fut saisi, dans 90 à 95 % des cas, ceux qui s'adressèrent à lui pour un recours furent graciés.


5) A noter

Les chiffres d'exécutés n'incluent pas les fusillés sans jugement qui furent nombreux au début de la guerre (André Bach rapporte un témoignage qui ne laisse aucun doute sur le comportement de certains officiers supérieurs: "J'ai tué de ma main 12 fuyards" avoue l'un d'eux).

Après guerre, quelques familles entreprirent des démarches pour réhabiliter ceux qui avaient été injustement condamnés, mais leur nombre est faible au regard du total des exécutions.

D'autre part, selon le même André Bach, plus encore que les désertions et les mutilations volontaires, le suicide a constitué le refus suprême de la guerre, bien que les traces archivistiques soient ténues. "Il semble que le chiffre soit bien plus important que celui des condamnés à mort", dit-il.

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