1914 - 2014: l'Etat absent
L'absence du Président de la République aux commémorations du centenaire de la Bataille de la Marne, remplacé par un bref discours (20 minutes) du chef du gouvernement qui a rendu un service minimum, l'absence d'éclat et de relief de cérémonies très peu médiatisées et presque en catimini au Vieil-Armand cet été ou encore au Chemin des Dames entre autres, ont valeur de symbole et font fortement contraste entre un Etat somme toute largement "absent" des commémorations du Centenaire de la Grande Guerre, contrairement à ce qui s'est passé en Belgique ou au Royaume-Uni pour ne citer que ces exemples-là et des citoyens, des collectivités, des communes qui, un peu partout en France, se sont auto-mobilisées pour ce centenaire à travers spectacles, cérémonies, expositions, ouverture d'espaces muséaux, notamment dans tout l'Est et le Nord de la France, là où dix departements furent occupés totalement ou partiellement par les Allemands et où la guerre fit de nombreux ravages et de nombreuses destructions, comme si l'Etat avait refusé d'assumer ses responsabilités dans la catastrophe de 1914 et avait notamment refusé d'assumer le bilan des pertes de cette année-là qui fut la plus meurtrière de la guerre (301 350 morts en cinq mois de conflit, soit 1 970 morts/jour en moyenne) en raison de doctrines militaires dépassées, les généraux, bien que sachant la létalité de l'armement moderne, n'ayant pas pris la mesure des contraintes tactiques nouvelles qu'elle imposait, de sorte que tous leurs calculs se sont révélés faux: non, l'importance des pertes n'a pas mis fin à la guerre en quelques batailles; non la tactique de la guerre de mouvement fondée sur l'offensive à outrance dans des charges de type napoléonien, n'a pas permis d'emporter la décision.
Plus troublant, par comparaison avec cette "absence" de l'Etat dans les commémorations de 2014, a été son investissement dans toutes les cérémonies marquant l'anniversaire du Débarquement et de la Libération, comme pour mieux écraser le Centenaire... comme une sorte de volonté "négationniste" de la Grande Guerre, comme si on avait intentionnellement voulu en parler le moins possible, peut-être pour, au contraire de ce qui s'est passé en Belgique, ne pas parler des atrocités allemandes de 1914 qui furent pourtant une réalité tangible, ou comme si on considérait au sommet de l'Etat, à l'instar des élites intellectuelles et médiatiques du moment, que l'histoire commence en 1933 avec l'arrivée d'Hitler au pouvoir et s'achève en 1945 et que tout ce qui a eu lieu avant ou après n'a aucune importance et aucun intérêt pour la culture ou la formation du citoyen du XXIème S - et à preuve, en pleine année du Centenaire de la Grande Guerre, ce sont des personnalités du la Seconde Guerre mondiale que le chef de l'Etat a choisi de faire transférer, dans les années futures, au Panthéon et ce sont des romans qui ont en toile de fond le second conflit mondial qui ont été sélectionnés et/ou primés par la plupart des jurys des grands prix litérraires.
Sauf qu'à mettre la focale uniquement sur la période dite de "l'Occupation", nos élites rendent notre peuple schizophrène, réduisent toute discussion et tout débat à une opposition basique entre fascisme et anti-fascisme, lieu désormais commun de la pensée intellectuelle, et sont responsables, au final, de nombreux délires comme ceux d'un Eric Zemmour d'un côté et comme ceux qui voient systématiquement derrière Le Front National, le visage d'Hitler de l'autre.
Les commémorations du Centenaire auraient pu être l'occasion de sortir enfin de ce lent poison délétère qui peu à peu paralyse la pensée intellectuelle française et l'Etat aurait pu y contribuer fortement et permettre qu'on tourne enfin une page qui n'a que trop duré; il a choisi l'option inverse... C'est aussi ce qui diférencie un grand chef d'Etat d'un vulgaire navet de la politique politicienne qui n'a fondamentalement pas compris quel puissant rôle il pouvait jouer dans le "redémarrage" intellectuel français, de sorte qu'il nous condamne, sans doute pour de nombreuses années encore, à une misère et à une pauvreté intellectuelle de plus en plus grande et stérile qui bloque toute émergeance d'une pensée nouvelle en France. Il est pourtant plus que temps que nous sortions enfin de cette prison intellectuelle.