Chien Blanc (Romain Gary)
Dans Chien Blanc, publié en 1970, Romain Gary nous replonge dans l'année 1968 aux Etats-Unis où il vit la majeure partie du temps avec son épouse, Jean Seberg, très engagée dans la lutte pour les droits civiques des noirs et en France.
Chien Blanc est un berger allemand recueilli par l'auteur et qui a été élevé pour chasser du noir dans les Etats du Sud. Placé dans un chenil afin d'être "rééduqué", il est confié à la responsabilité d'un noir, Keys, qui va en faire un chien chasseur de blancs, comme si au racisme blanc devait nécessairement répondre un racisme noir tout aussi dénoncé par l'auteur (" C'est tout de même triste de voir les Juifs rêver d'une Gestapo juive et les Noirs d'un Ku-Klux-Klan noir"; "Des Noirs qui trahissent leurs frères en nous rejoignant dans la haine, perdent la seule bataille qui vaille la peine d'être gagnée").
Il dénonce aussi ceux qui, dans les deux camps, se servent de la cause anti-raciste pour des raisons intéressées, les hypocrites de tous bords, y compris certains acteurs hollywoodiens, ceux qui feignent de ne pas voir qu'ils sont complétement américanisés dans leurs réactions, comme par exemple, ces juifs américains venus d'Europe de l'Est mais qui parlent de "nous autres, esclavagistes américains", (cela vaut de la part de Gary un passage acerbe: " Vous me faites mal au ventre avec votre culpabilité. En 1963, j''étais chez mon avocat israélite à New York au moment où la télé annonçait la mort du pape Jean XXIII. Il n'y avait là que des Juifs et ils pleuraient tous comme des veaux, c'était à croire qu'on venait de crucifier leur seigneur Jésus-Christ") ou Malcolm X qui voyait dans le religion musulmane l'incarnation de l'âme africaine ("Lorsque Malcolm X écrit, à propos des Blancs: "Comment pourrais-je aimer l'homme qui a violé ma mère, tué mon père, réduit mes ancêtres en esclavage?", c'est pourtant exactement cela qu'il fait, lorsqu'il se jette dans les bras du Prophète ...", rappelant que les Arabes musulmans sont les premiers destructeurs de l'identité africaine et que les Africains étaient convertis par les musulmans par l'épée, quand ils n'étaient pas vendus comme esclaves ou eunuques aux négriers portugais, anglais ou américains); ceux qui défendent la cause noire et seraient prêts à laisser crever un mendiant blanc dans la rue sous prétexte qu'il n'est pas noir; ceux qui (freudiens et autres psys) en sont restés au mythe de l'homme naturellement bon corrompu par la société pour expliquer la violence des noirs qui se vengeraient à juste titre des humiliations subies pendant des siècles ...
Prophétiquement (le livre a été publié en 1970), il dénonce déjà les évolutions qui sont celles de notre société actuelle: l'histoire mémorielle version repentance (" Il serait inique et indigne d'en vouloir aujourd'hui et de leur faire grief des crimes de leurs ancêtres, lesquels n'étaient pas des crimes à l'époque et la montée des communautarismes. Rien de plus aberrant que de vouloir juger les siècles passés avec les yeux d'aujourd'hui").
Enfin sur le mai 68 français, autant il montre de la sympathie pour le mouvement de grève des ouvriers (il narre une rencontre émouvante avec une ouvrière de chez Renault qui lui demande de l'aide pour tenir alors que la CGT les lâche dans leur lutte), autant il est plus ambivalent avec le mouvement étudiant qui lui rappelle sa jeunesse des années 30 (Gary se met à tagger les murs de slogans de l'époque des années 30), s'interrogeant notamment sur le rôle des mass-media dans l'exacerbation des passions ( "Nous vivons à une époque d’extraordinaire contagion psychique. Parce qu’un type tue Martin Luther King, un « contaminé » à Berlin va immédiatement tenter de tuer un leader des étudiants allemands. Il faudrait faire une étude profonde de la traumatisation des individus par les mass media qui vivent de climats dramatiques qu’ils intensifient et exploitent, faisant naître un besoin permanent d’événements spectaculaires. (…) J’en viens même à me demander si une sorte de besoin de création ne finit pas par pousser à la violence ceux des jeunes qui n’ont pas de talent artistique ou d’autres moyens de s’exprimer" dit-il dans des propos attribués à Robert Kennedy).