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Gay New York (4)

12 Août 2010 Publié dans #Homosexualité (actu - people - coups de gueule ...)

Suite du résumé du livre de George Chauncey, Gay New York (1890 - 1940); voir ici .

 

              3) Créer des enclaves gays: le Village et Harlem

 

Si le Bowery avait été le centre de la vie des "tantes" au tournant du siècle, à partir des années 1910 et 1920, le relais allait être pris par Greenwich Village, dans un contexte à dominante bourgeoise et par Harlem, seul quartier ouvert aux gays noirs, en cette époque où la ségrégation raciale n'était pas un vain mot.

D'ailleurs, si, en raison de sa population blanche et bourgeoise, le Village allait très vite étendre sa réputation à l'ensemble du pays, de l'aveu même des homos, Harlem était bien plus "chaud" en terme de liberté sexuelle.

Pourtant, aucun des deux ne pouvait être défini comme un quartier gay car les homos n'y dominaient pas et ils n'en faisaient pas les modes, mais l'un et l'autre avaient permis qu'y naissent des enclaves gays façonnées à partir de la culture dominante des lieux.

 

Greewich Village

 

Ici, le développement de la vie gay fut étroitement liée au développement de la bohème, elle-même plutôt liée au monde des classes moyennes.

Abandonné par les riches résidents urbains, puis peuplé d'immigrés italiens, le Village, en raison de son isolement et des loyers modestes qu'il proposait, finit par attirer la bohème des écrivains, des artistes et des radicaux en tout genre, conférant à l'endroit une réputation de non-conformisme et d'exentricité qui permettaient aux homos flamboyants de se fondre plus facilement dans le "décor".

Il faut dire que nombre de ces anti-conformistes étaient souvent partisans de l'amour libre, antimatérialistes, portaient des cheveux longs, des vêtements colorés, ne courraient ni après le mariage, ni après l'argent et étaient donc considérés comme "queers" (bizarres, anormaux), au même titre que les gays.

Pourtant, certains d'entre eux n'appréciaient cependant pas d'être comparés à des homos (l'un d'entre eux rêva même d'une révolution menée par les écrivains du Village "où l'on pourrait pendre les policiers aux lampadaires et, à côté de chaque policier, un prêcheur méthodiste et, à côté de chaque prêcheur, un poète tapette".

De fait, si parler de sexualité y était plus libre, la vision que l'on y avait de l'homosexualité quand on en parlait, n'était pas forcément positive, sauf qu'elle y était condamnée sur des critères scientifiques, et si le magazine The Masses s'attira les foudres des réformateurs, c'est moins parce qu'il défendait l'homosexualité que parce qu'il la condamnait en termes médicaux et non plus moraux.

Cela n'empêcha cependant pas les premiers homosexuels du quartier, comme par exemple le romancier Carl Van Vechten qui contribua à faire connaître la Harlem Renaissance au public blanc, les peintres Charles Demuth ou Marsden Hartley, de participer activement à la bohème à part entière, mais "c'est plutôt en tant que "bonhémiens" qu'en tant qu'homosexuels qu'ils étaient attirés par le Village, et ils ne semblaient pas avoir envie de créer des institutions spécifiquement homosexuelles" selon George Chauncey.

 

Les choses allaient changer avec la Première Guerre mondiale et les années 20 et la construction des lignes de métro le long de la Septième Avenue en 1917 et de de la Sixième en 1927-1930.

Le quartier se commercialise alors à grande vitesse, de nombreux bars clandestins s'y installent durant la Prohibition et les loyers y grimpent, en chassant certains artistes désargentés pour y céder la place à des hommes d'affaire attirés par le charme Ancien Monde du lieu.

Le Village devint alors un endroit de perdition plus ou moins fabriqué "une sorte de lieu de divertissement bon marché, un espace où venaient s'amuser aussi bien les riches désireux de s'encanailler que les jeunes des banlieues populaires"

C'est à cause de cette réputation d'ailleurs que le Village attira de nombreux gays de petites villes moins tolérantes, et ce sont ces réfugiés qui allaient construire le vaste monde gay du lieu dont  la  visibilité croissante contribua à renforcer la réputation de Greenwich Village comme "lieu gay.

D'une part, les organisateurs de bals et autres festivités avaient bien compris l'intérêt que représentait la présence de gays flamboyants qui faisaient le spectacle pour leur tiroir-caisse, d'autre part, ceux-ci n'hésitaient plus à organiser leurs propres bars clandestins, tel le Red Mask, dans Charles Street, dirigé par Jackie Mason, impresario gay, et à s'approprier complètement des espaces sociaux crées par la bohème dans les années 1910. (restaurants italiens, cafétérias, salons de thé bon marché).

Une première descente de police intervint dans les années 1924/25 pour obtenir la fermeture de ces lieux; deux patrons furent d'ailleurs condamnés, mais d'autres établissements prirent la suite et les journaux locaux, bien qu'à l'existence souvent brève, n'hésitaient pas parfois, à faire de la publicité pour les soirées, les lieux et les événements organisés par les gays.

Quoi qu'il en soit, c'était la première fois qu'une certaine organisation de la vie gay parmi les classes moyennes, jusqu'ici plus discrètes, se mettait en place.

 

Harlem

 

De leur côté, les noirs gays, contraints par la ségrégation raciale à s'organiser eux-mêmes, allaient faire de l'endroit un lieu dont la liberté sexuelle dépassait même celle de Greenwich Village.

"Les homosexuels les plus flamboyants du Village portaient les cheveux longs; ceux de Harlem portaient des robes longues" (George Chauncey) et, à Harlem, les travestis n'étaient pas que sur scène mais aussi parmi les clients; de même, les couples du même sexe y dansaient ensemble dans les bars clandestins et ils furent à l'origine de ce qui devait être le plus grand bal travesti de New York, organisé chaque année par la Hamilton Lodge.

 

Harlem était devenu le quartier noir de la ville dans les années 1900/1910. Construit par des promoteurs immobiliers en quête de spéculations juteuses, le quartier devint celui des noirs après l'effondrement du marché en 1904, à un moment où ceux-ci étaient chassés de leur quartier d'origine entre les 30ème et 40ème rues Ouest par la construction de Pennsylvania Station.

La guerre allait d'ailleurs renforcer son statut de quartier noir de la ville à cause de la grande migration de ceux-ci du Sud vers le Nord pour occuper les emplois industriels laissés vacants par la mobilisation militaire.

C'est au milieu de ce chambardement qu'Harlem devint lui aussi, une sorte de laboratoire des idées nouvelles et de la liberté de ton.

"Cette énorme métropole noire (...) vit surgir (...) un commerce très actif, un large éventails d'associations et d'organisations, le mouvement militant nationaliste noir de Marcus Garvey, ainsi que des dizaines de night-clubs élégants, des caves à jazz, des bars clandestins, ou encore les poètes, écrivains et artistes qui produisirent la Harlem Renaissance. Mais c'était surtout le foyer du Nouveau Nègre (New Negro), le Noir sûr de lui et décidé à prendre en main sa propre destinée" (Chauncey).

Nombre de visiteurs blancs, notamment fortunés, y étaient attirés par la richesse culturelle et la diversité des spectacles, ainsi que de l'alcool qui y coulait à flots.

Cependant, la plupart d'entre-eux se contentaient de fréquenter des clubs tenus par des blancs où l'élément noir était surtout présent sur scène pour assurer le spectacle, comme au Cotton Club, aux Everglades ... aux noms bien "sudistes".

C'est dans ce contexte, et à cause d'une surveillance moindre des ligues de moralité (il faut attendre 1928 pour que le Comité des Quatorze y dépêche un enquêteur noir, sans pour autant que cela soit suivi de conséquences), qu'un monde gay naquit à Harlem, renforcé par le fait que des gays blancs venaient s'y mêler régulièrement.

Cette enquêteur par ailleurs devait témoigner de l'extrême liberté sexuelle qui y régnait: " J'ai vu également deux hommes qui dansaient ensemble s'embrasser, et l'un suça la langue de l'autre" ( à propos d'un bar clandestin situé dans le sous-sol d'un immeuble de la 136ème rue Ouest) ou de la présence acceptée comme telle par les autres clients d'homosexuels dans un endroit réputé calme, le Blue Rbbon Chile Parlor, au sous-sol d'un immeuble situé au 72 de la 131ème rue Ouest.

De plus, les travestis étaient nombreux dans les rues, malgré le risque d'être harcelés par de jeunes hommes ou arrêtés par les policiers irlandais qui patrouillaient régulièrement dans le quartier.

Ils devinrent aussi, comme au Village, une mode présente dans de nombreux spectacles, notamment dans les sex shows gays, apparus dans le Harlem interlope, organisés dans des appartements privés sous le nom d' "appartements-buffets" accueillant des spectateurs payants et aux noms évocateurs comme The Daisy Chain (expression signifiant à la fois "la guirlande des marguerites" ou "les pédés qui s'enculent à la chaine").

Le blues lui-même, fit une place à ces "tantes", non pour les célébrer mais parce qu'elles étaient reconnues comme faisant partie de la culture populaire noire et comme capables de susciter du désir sexuel chez les hommes "normaux"; d'ailleurs, nombres de chanteuses de blues étaient, elles-mêmes, bisexuelles ou lesbiennes, comme Bessie Smith, Ma Rainey ou Gladys Bentley qui chantait habillée en smoking et chapeau haut-de-forme et qui épousa sa compagne blanche lors d'une cérémonie qui fit grand bruit.

Cependant, pas plus que les classes moyennes blanches, les classes moyennes noires n'étaient tolérantes face à ce genre de spectacles; elles considéraient même que ces travestis, au même titre que les Noirs incultes qui arrivaient du Sud, contribuaient à maintenir la mauvaise réputation des noirs dans le pays et à entretenir le racisme dont ils étaient victimes.

Aussi se joignirent-elles à la croisade lancée par certaines églises de Harlem, notamment celle du pasteur Adam Clayton Powell aux discours enflammés. Cependant, on ne sait quels furent les effets d'une telle campagne, d'autant plus que, dans le même temps, le bal  organisé par la Hamilton Lodge, désigné à partir du milieu des années 20, comme le "Faggots Balls" (le bal des pédés) attirait, lui, de plus en plus de spectateurs.

On ne sait à partir de quand les travestis commencèrent à y participer en nombre, mais c'est en 1926 que les journaux, pour la première fois, insistent sur la présence impressionnante des "tantes" au défilé parmi la majorité des danseurs, souvent issus des classes populaires et de la jeunesse - parmi les 17 personnes arrêtées durant le bal de 1938 pour raccolage homosexuel, la moitié à moins de 30 ans, un seul 40 ans; on y comptait deux travailleurs journaliers, deux chômeurs, un plongeur de restaurant, un domestique, un garçon d'ascenseur, un vendeur, un homme à tout faire, un surveillant, un employé, un infirmier, un musicien, un artiste et un animateur de cabaret - .

Les chiffres donnés font état, en tout cas, de l'extrême popularité de cette réunion: 1500 personnes assistent au bal en 1926, 3000 en 1929, 4000 en 1934 selon les journaux et 8000 en 1937.

Cette popularité oblige d'ailleurs la presse à en parler, même si cela est fait de façon ironique parfois, et à publier en première page des photos de cette manifestation et des gagnants du concours, certains accusant les homosexuels blancs qui se mêlaient aux noirs d'être responsables de la tournure de plus en plus homosexuelle prise par ce bal.

Pourtant, jamais aucun noir homosexuel de la classe moyenne harlémite, y compris de la Harlem Renaissance, n'osa affirmer son homosexualité; il en allait trop de leur respectabilité, et s'ils participaient au bal, c'était parmi les spectateurs, se contentant, le reste du temps, comme la plupart de ceux qui étaient parmi les danseurs d'ailleurs, connus seulement sous le pseudonyme d'artistes célèbres de l'époque (Mae West, Gloria Swanson, Greta Garbo...), de dissimuler comme ils le pouvaient leurs penchants sexuels.

 

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S
<br /> <br /> toujours un régal de lire cette "histoire". merci Jérem<br /> <br /> <br /> <br />
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