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Retraites, deux conceptions qui s'affrontent

21 Mai 2010 Publié dans #Articles de réflexion

Philosophiquement, il existe deux conceptions de la retraite.
La première, et sans doute la plus ancienne, est celle que l'on retrouve dans l'expression "retraite des vieux" ou "retraite des vieux travailleurs". Elle conçoit la retraite comme un état temporaire et bref qui arrive en fin de vie, permettant au "vieux travailleur" de se reposer sur une période qui n'excède pas cinq à dix ans - et Dieu sait comme cinq à dix ans, c'est un temps très court dans une vie - avant de rejoindre tranquillement et paisiblement la tombe.
Fortement inspirée de la morale judéo-chrétienne, cette conception qui est aussi celle que le gouvernement actuel soutient pour des raisons économiques autant que par choix de ne pas mettre à contribution les entreprises, on la retrouve inscrite au cœur même de la Constitution, dans le préambule datant de 1946, dans son article 11 qui en définit la philosophie générale:
"[La Nation] garantit à tous, notamment (...) aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos (...). Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, (...), se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence".
On notera combien la retraite y apparait davantage comme une "exception" accordée aux travailleurs rendus "impotents" par l'âge et/ou l'état physique et mental, qu'un droit pour toutes les personnes âgées en tant que telles.
Aussi s'y rapproche-t-on donc d'une conception de " dame patronnesse", où la retraite est conçue comme une sorte de miséricorde apportée aux "vieux" pour les soulager pendant quelques brèves années afin qu'ils préparent, avant qu'il ne soit trop tard, leur Salut ou plutôt, dans nos sociétés modernes, leur départ.

La seconde, pour n'en être pas moins d'inspiration judéo-chrétienne, abandonne ce ton paternaliste de fausse commisération condescendante fondée sur une conception "mythique" du "vieux travailleur" pour s'appuyer sur l"idée qu'il y a, dans la vie, un temps pour tout.
St-Benoît, lorsqu'il rédigea la règle bénédictine ne fut d'ailleurs pas loin de transcrire lui-même cette maxime dans la recherche d'une répartition équitable de la journée du moine, partagée en trois temps égaux, celui de la prière, celui du travail et celui du repos.
Plus "hédoniste" que la première conception, celle-ci sous-entend l'idée que tout homme, après avoir travaillé durant un temps de travail raisonnable et déterminé, fixé à 60 ans au début des années 1980, puisse jouir plus longuement des "délices" du repos qu'elle que soit la durée de vie qu'il lui reste.
Ici, la retraite devient un continuum, et non une presque fin de vie à l'échelle de cinq ou dix ans; elle n'est plus conçue comme une charge financièrement lourde et les "vieux" comme des poids morts pour la société, mais comme un élément d'enrichissement autant personnel pour les personnes âgées que pour la société toute entière, que ce soit socialement ou culturellement, par leur participation active à celle-ci. La retraite, les loisirs, le repos qu'elle offre doivent être, dans cette conception, des éléments d'épanouissement qui permettent parfois de réaliser ce qu'on n'a pas pu faire à cause d'une vie de travail, avec un sentiment plus grand de liberté, pourvue que la santé soit là.

Aujourd'hui, avec la réforme des retraites, ce sont ces deux conceptions qui se télescopent entre un projet gouvernemental de reporter l'âge de la retraite vers 65/70 ans, comme l'on déjà fait certains pays européens - alors même que notre situation démographique est bien meilleure que la leur - pour tenter de réduire au maximum la durée des pensions-retraites versées à une perspective de cinq à dix ans maximum pour la majorité d'entre-nous (rappelons que l'espérance de vie moyenne d'un homme est d'un peu plus de 77 ans), et des contre-projets plus "softs" où l'âge de départ effectif continuerait à s'effectuer entre 60 et 65 ans, mais qui demandent un effort financier certain, notamment de la part des entreprises dont les cotisations seraient appelées, à côté de celle des salariés, à augmenter aussi. Mais, après tout, n'est-ce pas aussi cela la solidarité nationale et les entreprises doivent-elles être dispensées d'y participer ?

Certes, partout en Europe, on tente de nous vendre la vieille conception "patronnesse" de la retraite - c'est bien à cela que l'on voit combien le vieux fonds doloriste et pénitentiel chrétien n'a pas disparu des inconscients - mais est-on vraiment sûrs que cette conception soit si respectueuse des "vieux" qu'elle en a l'air ?
Quelque part, l'enjeu de cette réforme, c'est aussi de savoir si nous souhaitons préserver un peu de notre liberté et de droit aux loisirs quand nous serons devenus à notre tour vieillards ou si nous acceptons par avance, d'être considérés comme des "déchets" dont on souhaite qu'ils disparaissent le plus rapidement pour qu'ils coûtent le moins cher possible à la société.

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