Qui était le Masque de fer ?
Dans un numéro récent d’Historia, l’historien Jean-Christian Petitfils, auteur entre autres, d’une excellente biographie de Louis XVI, fait le point sur l’énigme du Masque de fer à partir des travaux des historiens Stanislas Brugnon, Bernard Caire et John Noone, lesquels ont utilisé notamment la correspondance entre Bénigne Dauvergne de Saint-Mars, célèbre gardien du mystérieux prisonnier et ses ministres de tutelle, Louvois puis Barbezieux, et les comptes des prison (surtout les remboursements des frais), comme ressources.
Ces comptes permettent déjà une première affirmation : le prisonnier en question est un homme ordinaire ; sa pension s’élève à 5 livres 10 sols par jour, soit 165 livres par mois, contre 500 livres pour un personnage comme Fouquet. Ce n’est donc pas quelque grand personnage ou frère caché de Louis XIV.
Autre élément qui semble tangible : la forteresse de Pignerol, aujourd’hui Pignerolo, est la première prison qu’a connue le Masque de fer. A l’époque, nul prisonnier masqué dans cette prison dont Saint-Mars est le gouverneur de 1665 à 1681 et il n’y a aucune place, ni dans la correspondance, ni dans l’état des frais, ni dans la disposition des lieux pour y garder secrètement un prisonnier quelconque et encore moins magnifiquement traité.
Autre fait, la liste des prisonniers de Pignerol est bien connue :
- Fouquet qui y meurt en 1680
- Lauzun, amant de la Grande Mademoiselle, libéré en avril 1681
- Eustache Danger, domestique emprisonné, autorisé par manque de valets de prison fiables à servir Fouquet et Lauzun à partir de 1675
- Lapierre, moine jacobin, surnommé ainsi parce qu’il cherchait la pierre philosophale et qui meurt à Pignerol en 1693
- Le comte de Breuil, espion, libéré en 1694 à Pignerol
- Le comte Matthioli, agent double, mais dont on sait qu’il restera à Pignerol jusqu’en 1694 ; il ne reverra Saint-Mars à Ste-Marguerite (Iles de Lérins) que cette même année, quelques mois avant sa mort. En conséquence, bien que ce soit son nom qui soit inscrit sur les registres de décès pour nommer le Masque de fer en 1703, il ne peut être ledit Masque
- La Rivière, valet de prison de Fouquet
Lorsque Saint-Mars gagne Exilles, en 1681, il emmène avec lui deux mystérieux prisonniers ; la liste ci-dessus nous permet de dire qu’il ne peut s’agir que d’Eustache Danger et du valet La Rivière qui, d’ailleurs, après la mort de Fouquet et la libération de Lauzun, disparaissent soudainement, comme rayés du monde, et désormais uniquement désignés comme les « Messieurs de la tour du bas ».
C’est à Exilles, de façon certaine que le valet La Rivière meurt en 1686. Aussi, lorsque Saint-Mars gagne Lérins, où il a l’ordre d’emmener avec lui le valet restant, il ne peut s’agir que d’Eustache Danger. C’est alors que, aigri de ne plus garder que du menu gibier et bien décidé à se faire passer pour un personnage important auprès de notables provençaux, sans avoir reçu aucune instruction de la sorte, de sa propre initiative (il se montre très évasif avec son ministre de tutelle lorsqu’il s’agit de relater les conditions du transfert), il organise cette mascarade au grand jour d’un homme portant un masque d’acier, transporté en chaise à porteur (moyen de déplacement réservé à l’époque à l’aristocratie) et dont nul ne doit savoir le nom.
Le même scénario se répète lorsque Saint-Mars est nommé à la Bastille, en 1698, à la seule différence que, cette fois-ci, c’est lui qui insiste pour emmener son prisonnier avec lui. Cependant, c’est un masque de velours noir, et non plus un masque de fer, lequel avait failli l’étouffer lors du précédent transfert, que porte le malheureux prisonnier qui meurt à la Bastille le 19 novembre 1703.
Reste à éclaircir quelques points concernant cet Eustache Danger : on sait qu’il était domestique, soit du roi, soit de Madame Henriette, et qu’il a été arrêté à Calais fin juillet 1669 par le major de Dunkerque, Alexandre de Vauroy, pour être conduit à Pignerol sous faible escorte (trois archers), sur ordre de Louvois qui recommande alors de le tenir à l’écart des autres prisonniers et lui interdit de communiquer son nom et son secret.
La seule énigme qui subsiste, en fait, ce sont les raisons de son arrestation ; l’article suggère que ce valet aurait eu entre les mains une correspondance secrète entre Louis XIV et Charles II d’Angleterre à laquelle il n’aurait pas dû avoir accès et qui devait conduire au Traité de Douvres de 1670.
En tout cas, dès 1675, son secret n’était déjà plus considéré comme si terrible puisque Louvois avait accepté qu’il puisse servir de valet à Fouquet et Lauzun, lequel fut libéré en avril 1681 alors que l’on savait pertinemment qu’il avait été mis au courant par Danger de la raison de son incarcération.