du 2 au 9 février 1909
Peu de faits importants à se mettre sous la dent cette semaine:
- en Russie, nous apprenons l'arrestation du général Lopoukhine, ancien chef de la police secrète, accusé d'être impliqué dans les attentats dont furent victimes le ministre de l'intérieur Plehve, en 1904 et le grand-duc Serge, en 1905. Un certain Azev est activement recherché.
- en France côté mondain, on signale une descente de police dans certains cercles de la capitale, dont le cercle Monceau, tenu par Mme Monchanin; le journal précise que dans la salle de jeu ne se trouvaient que des femmes, hormis l'ancien banquier Boulaine qui présidait. Bizarre, bizarre !
- enfin, un savant lorrain, Henri Labourdasse, aurait mis la main dans les archives du parlement de Nancy sur une ordonnance rédigée par le duc Léopold en 1719, règlementant la dime sur les pommes de terre, soit 18 ans avant la naissance de Parmentier qui n'en serait donc pas l'introducteur en France.
Du coup, profitons de cette actualité atone pour parler de deux affaires auxquelles je n'ai point encore fait allusion mais qui reviennent régulièrement dans les journaux et qui trouveront leur épilogue au cours de 1909, ce qui m'évitera d'y revenir:
- l'affaire Thalamas, du nom de ce professeur qui dispense en cours libre depuis fin 1908 à la Sorbonne un enseignement sur la pédagogie de l'histoire.
Or, ses cours sont envahis systématiquement par des étudiants appartenant aux Camelots du roi (dont Georges Bernanos) qui lui reprochent les propos qu'il avait tenus en 1904 dans sa classe, au lycée Charlemagne, sur Jeanne d'Arc ; il affichait son désir d'en détruire le culte qu'il appelait la "Jeannolâtrie".
Blamé par son ministre à la suite du scandale et de l'indignation de ses élèves, il avait été muté à Condorcet où sa présence suscita encore de nombreux incidents.
Le 17 février 1909, l'affaire atteindra un point de non-retour: Maurice Pujo, directeur du journal L'Action française, ayant réussi à s'introduire dans l'amphithéâtre avec un groupe de Camelots, entrés deux par deux, ils se saisirent de Thalamas, le couchèrent sur la chaire, lui mirent les fesses à l'air, se disputant l'honneur d'y taper dessus à tour de rôle!! L'un des plus motivés à cet exercice fut Lucien Lacour en particulier, sérieusement blessé par Thalamas lui-même qui lui asséna une chaise sur la tête alors qu'il était solidement maintenu par des agents.
De nombreuses arrestations eurent lieu et les principaux responsables condamnés à 6 mois de prison ferme.
- l'affaire Steinhel, dont le nom ne doit pas vous être tout à fait inconnu puisque Marguerite Steinhel fut la fameuse "connaissance" liée à la mort du président Félix Faure à l'Elysée.
Le 31 mai 1908, un valet découvre découvre successivement Madame Japy, mère de Marguerite puis Adolphe Steinheil, peintre et mari de celle-ci morts.
Madame Japy est morte d’une crise cardiaque, Adolphe Steinheil a été étranglé ; Marguerite est retrouvée, quant à elle, bâillonnée et ligotée à un lit : elle expliquera aux policiers avoir été attachée par quatre personnes (trois hommes et une femme) en habits noirs.
La presse bruisse des multiples rebondissements et témoignages sur cette affaire, d'autant plus que ladite Marguerite y joue un rôle très mystérieux (elle va même jusqu'à dissimuler dans la poche du valet une perle qu'elle affirma s'être fait voler par les quatre personnes).
Mise en examen, comme l'on dirait de nos jours, le procès a lieu en novembre 1909 et se conclura par l'acquittement de la dame (Mouaih ....).
Enfin, côté rubrique nécrologique, deux morts à signaler:
- celle de Coquelin Cadet, frère du Coquelin dont il a été question dans un autre billet, spécialisé dans des rôles de personnage de Molière et dans l'art du monologue qu'il théorisa dans deux ouvrages, "Le Monologue moderne" (1881) et "L'Art de dire le monologue" (1884).
Voir ici ses conseils pour dire le Hareng Saur de Charles Cros:
http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Hareng_saur
- celle du poète Catulle Mendès, retrouvé sans vie dans le Tunnel de chemin de fer dit "Le Parterre", près de St-Germain-en-Laye. L'enquête conclut à un accident, le poète étant, semble-t-il, tombé accidentellement du train.
Méconnu aujourd'hui, Catulle Mendès, lié au Parnasse, était représentatif de cette poésie assez précieuse et vaguement décadente de la fin du XIXè siècle et était par ailleurs connu pour des courts récits érotiques (je note au passage, dans la liste de ses oeuvres, un recueil baptisé "Lesbia") et pour avoir été, en France, un fervent partisan de la musique de Wagner.
Euh ... qui a dit que l'actualité était atone pour tant écrire ... ?
Terminons, néanmoins par un poème de Catulle Mendès:
Reste. N'allume pas la lampe...
Reste. N'allume pas la lampe. Que nos yeux
S'emplissent pour longtemps de ténèbres, et laisse
Tes bruns cheveux verser la pesante mollesse
De leurs ondes sur nos baisers silencieux.
Nous sommes las autant l'un que l'autre. Les cieux
Pleins de soleil nous ont trompés. Le jour nous blesse.
Voluptueusement berçons notre faiblesse
Dans l'océan du soir morne et délicieux.
Lente extase, houleux sommeil exempt de songe,
Le flux funèbre roule et déroule et prolonge
Tes cheveux où mon front se pâme enseveli...
Ô calme soir, qui hais la vie et lui résistes,
Coule dans les cheveux profonds des brunes tristes.
(Soirs moroses, 1876)