Le vicomte de Martignac
Jean-Baptiste Sylvère Gay, vicomte de Martignac.
Issu de la bourgeoisie bordelaise, où il nait en 1778, Martignac entama des études de juriste avant de devenir, plus tard, le secrétaire de Sieyès (l'homme de la brochure Qu'est-ce que le Tiers-Etat?, éphémère directeur en 1799 et concepteur du coup d'Etat de brumaire an VIII que Bonaparte s'empresse de doubler).
Avocat à Bordeaux sous l'Empire, il soutint le mouvement royaliste dans sa ville natale, aida la duchesse d'Angoulême, nièce par alliance de Louis XVIII à fuir pendant les Cent-Jours (1815), devint en 1818, avocat-général; procureur général à Limoges l'année suivante, il fut élu député de Marmande en 1821 (il le restera jusqu'à sa mort en 1832), appartenant à la mouvance des ultraroyalistes modérés.
En 1822, il est nommé Conseiller d'Etat, et, partisan de l'intervention armée en Espagne pour rétablir le roi Ferdinand VII dans ses pouvoirs absolus, il est nommé commissaire civil en Espagne auprès du duc d'Angoulême, neveu du roi Louis XVIII avant de recevoir le titre de vicomte.
Cependant, politiquement, sa vision se modifie, et bien que toujours ultraroyaliste, il se déporte vers le centre-droit et se rapproche des Doctrinaires libéraux, ce qui conduit à le nommer au ministère de l'Intérieur le 4 janvier 1828, après que la Chambre a renversé le gouvernement de Villèle dont la majorité a été battue aux élections. En l'absence de présidence du Conseil, il fait alors figure de chef virtuel du gouvernement.
Il va alors essayer, servi par une voix "merveilleuse" (les témoignages de l'époque évoquent tous le charme de sa voix : " La Malibran parlementaire", "Le rossignol de ministère" ...) d'imposer sa vision du pouvoir.
Sans véritable majorité, coincé entre les ultra et les libéraux, il va tenter de céder à l'opinion publique et ajuster l'évolution politique à la société tout en défendant envers et contre tout la prérogative royale.
Il fait d'abord adopter une série de lois propres à satisfaire les libéraux: il fait déclarer les listes électorales permanentes et transfére les contestations devant les tribunaux administratifs et plus à la discrétion des préfets, majoritairement ultra et que le roi Charles X refuse de révoquer; il prend des ordonnances contre les Jésuites, réinstallés illégalement en France malgré la suppression de la Compagnie de Jésus sous Louis XV: il prend des mesures pour soustraire l'école au contrôle du clergé; il enlève au roi le droit d'interpréter les lois votées pour le rendre aux Chambres; il supprime la censure et l'autorisation préalable de publier par un système de cautionnement.
Il soutient aussi une intervention en Morée (partie de la Grèce), en septembre 1828, encore occupée, au nom de l'Empire ottoman, par des troupes égyptiennes, pour obtenir le départ de ces derniers dans le cadre de la médiation entre les puissances européennes, la Porte et les insurgés grecs; mais il n'est pas question, pour autant, de reconnaître l'indépendance grecque.
Début 1829, Martignac, qui doit s'appuyer sur des majorités fluctuantes pour faire adopter ses projets de loi, finit par essuyer un échec: sa loi proposant l'extension du suffrage électoral aux communes et départements est critiquée par les libéraux qui la jugent insuffisamment démocratique, tant sur le nombre d'électeurs, à une époque où le suffrage est censitaire, que sur les pouvoirs accordés aux départements; ces derniers, alliés aux ultra pour la circonstance, font repousser les projets ministériels qui sont retirés de la discussion.
Charles X, qui n'a accepté que contraint, l'expérience Martignac, convaincu qu'il ne faut, en aucun cas, céder à l'opposition libérale, sous peine de connaître le sort de son malheureux frère, Louis XVI, songe déjà à faire valoir l'antériorité de son pouvoir sur tout texte constitutionnel et son droit absolu de le modifier sans passer par les Chambres. Il contraint Martignac à la démission en avril 1829 et fait appel au Prince de Polignac pour lui succéder.